Australia’s shame vu par…

Australia’s Shame est un documentaire qui porte sur le traitement atroce que subissent les enfants aborigènes dans les prisons d’Australie, telles que la prison Don Dale. Le sujet de ce documentaire est grave et poignant, mais malheureusement dénigré par une construction maladroite du film et une mauvaise répartition du temps de parole disponible.
En effet, le montage du documentaire coupe la parole aux sujets du film. La présence et la parole de ces témoins est d’abord coupée à l’image durant les interviews, par l’utilisation d’un champ-contrechamp constant entre les aborigènes interviewés, et la journaliste. Cependant, il n’y a  aucun intérêt particulier à voir la journaliste lorsqu’elle pose des questions, à part l’utilité basique de montrer le visage de la personne qui parle, et sans compter certains plans des interviews dans lesquels on la voit alors qu’elle n’intervient même pas.
Elle est également présente à l’écran sur des plans en caméra épaule qui la montrent en train d’entrer dans la prison, de montrer les cellules dans lesquelles les enfants étaient isolés… Et même lorsqu’elle interroge un des adolescents via Skype, le montage de cette séquence inclut à répétition des plans d’elle devant son ordinateur, et des plans chez l’adolescent interrogé dans lesquels on ne le voit qu’en amorce et de dos ou de 3/4 alors qu’on la voit elle sur l’ordinateur, surcadrée par les lignes de l’écran.
Le temps d’apparition des personnes à l’écran est monopolisé par la journaliste plutôt que par les personnes qu’elle interviewe et qui sont censées être le sujet même du documentaire. L’utilisation à outrance des plans qui la montrent dans le montage ne sert qu’à renforcer la présence de la journaliste de façon totalement illogique en en faisant la protagoniste d’un documentaire qui cherche à dénoncer les violences faites aux aborigènes.
En effet, même lorsque l’on sort des interviews et que le montage inclut des images d’archives des caméras de sécurité de la prison, c’est la voix de la journaliste qui prend encore une fois le dessus à défaut de sa présence à l’image.
La voix est constamment présente dans ce film. On peut entendre les différentes voix des personnes interviewées, mais en très grande majorité la voix de la journaliste, durant les interviews mais surtout en voix off, une voix off qui prend le relais dès que les personnes à l’écran s’arrêtent de parler.
Il n’y a ainsi quasiment pas un moment sans aucune voix dans ce film, ce qui fait que l’esprit du spectateur est constamment dirigé par une voix qui le fait regarder là où elle souhaite qu’il regarde. Le spectateur n’a pas le temps ni le loisir de réfléchir à ce qu’il voit car la voix off le lui dit avant, elle décrit tout ce qu’il voit déjà à l’écran, dramatisant chacune des images ou évènements du film de telle sorte que le sujet perd de sa gravité en devenant presque une parodie d’un mauvais reportage de journal télévisé avec une voix off semblable à celle d’un automate, ou à une audio-description pour mal-voyants.
Cette accentuation du drame fictionnalise le sujet du documentaire en le désancrant de la réalité dans laquelle il est pourtant bien inscrit.
De plus, la voix qui est la plus envahissante et qui a le plus de temps de parole dans ce film est la voix de la journaliste, à la fois en son in et en voix off, une voix qui n’a pas vécu ce dont elle parle et qui ne ne laisse que peu de place et de temps de parole aux voix des personnes qui ont vécu l’isolement et la torture de Don Dale, et qui sont celles que l’ontsouhaiterait vraiment entendre.
L’histoire de ces enfants et adolescents est déchirante et inhumaine, et mérite évidemment que l’on en fasse un documentaire, mais un documentaire dans lequel leur parole est entendue et leur histoire expliquée comme elle se doit de l’être.

Juliette Musch.

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