Reconstructing Utoya

Dans mon armoire, les pellicules s’entassent et toutes relatent un moment de ma vie. Et aujourd’hui je dois chercher celle qui contient le plus lourd secret, celle qui a changé ma vie. Elle est toute poussiéreuse et abîmée, elle a vécu des moments difficiles. J’avais besoin d’oublier. De laisser de côté ces souvenirs qui me hantaient. Mais il est temps de les partager.

Lentement j’enclenche le projecteur et la bobine se met en marche. Mes souvenirs défilent si vite. Je dois vous raconter. Stop! Je m’arrête là. Les yeux rouges, une larme au coin de l’œil, je les regarde. Ce silence est pesant pour moi, mais c’est de cette façon qu’ils recueillent mes souvenirs. Je le vois dans leurs yeux, ils ont compris, il vont essayer de rendre hommage à cette tragédie. Car oui c’était l’enfer et je ne m’en suis pas sortie indemne, une partie de moi est restée là bas et je ne la retrouverai pas.

Je remets la bobine de mes pensées en marche. Je laisse couler cette larme qui ne voulait pas descendre sur ma joue. C’est bon! Je peux m’arrêter là. Je finis de leur raconter. Sur ces lignes blanches, je regarde passer leurs corps. Sur cette scène d’un noir profond, je les entends rire, s’enlacer, jouer. Je sursaute. Un bruit métallique me glace le corps. Et  BOUM. Ils courent, ils paniquent, ils plongent, ils tombent. Plus un bruit. Sous mes yeux, leurs corps sont immobiles. C’est dur de les voir prendre autant de risques pour reconstituer Utoya. Enfin je l’ai dit. C’est sorti, Utoya, cette ville dans laquelle j’ai laissé une partie de moi. Mon innocence est restée à Utoya.

Salomé Paquereau.

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